Jour 1 : samedi 28 Juillet. Départ 7 : 15.
A 10 : 30, nous faisons une pause café au « poulet » sur l’aire du Poulet de Bresse.
Nous reprenons la route, oups !, je veux dire, l’autoroute.
Antonio téléphone à Pascal pour savoir où ils se trouvent. La communication passe mal, mais nous comprenons qu’ils ne sont pas loin devant nous. Nous pourrons peut-être déjeuner ensemble à midi.
11 : 46, Pascal nous téléphone ; il est à 100 m devant nous. Nous sommes dans un fort ralentissement, presque un bouchon, et, alors que nous sommes toujours au téléphone, Pascal et Loïc se trouvent à côté de nous.
La traversée de la vallée verte se fait sous la pluie. Vers 12 : 30, alors que nous ne sommes plus qu’à une quarantaine de km du Mont Blanc, le soleil se montre.
12 : 46, Antonio nous montre les premières neiges au loin. Je me sens comme un marin qui entend crier : « Terre ! ».
1er regroupement :
Nous retrouvons Pascal, Loïc et Gauthier à St Gervais et nous allons manger à « la taverne de l’ours ».
Loïc à bien dormi pendant la route. Pascal dit qu’il a pris Loïc et Gauthier en photo au départ de Nomeny avec la banderole du club, et je réalise que j’ai oublié le tee-shirt du judo-club. Oups !
Nous trinquons au Mont Blanc. Pascal nous avait dit que nous inaugurerions le nouveau refuge du Goûter. Il nous annonce, que son ouverture est repoussée au 31 août. Il nous dit, en lot de consolation que nous serons les derniers « loups » ou plutôt : « ours », à utiliser ce vieux refuge, qui à son charme avec sa terrasse…Enfin, c’est que nous vend Pascal ; nous verrons sur place.
Nous somme en plein dans la période des J.O. et la conversation s’oriente sur le combat de Teddy Riner, puis chacun parle de ce sport, de ses blessures et la préparation sportive.
Loïc et Gauthier ont eu de sacrées blessures et ne parlons pas des conséquences comme les rhumatismes qu’ils risquent d’avoir en vieillissant. Pascal dit que Loïc dira plus tard : « Mais comment il faisait mon père pour faire la Bérangère à passé 50 ans ? »
Après ce délicieux repas, nous allons trouver notre gîte : « la maison de Tatanne ». C’est une adorable maison/chalet à l’image de celle qui nous reçoit. Anne (tata Anne, devenue Tat’Anne pour son petit neveu, a donné ce sobriquet au gîte des randonneurs.) Notre maîtresse de maison a arrangé ce lieu avec la chaleur de son cœur. C’est à la fois rustique et décoré avec finesse. Nous nous y sentons tout de suite bien.
Catherine est là depuis une semaine avec son mari, David et ses trois enfants : Marie, Thibault et Juliette. Arnaud est arrivé aussi avec sa femme, Sophie et ses deux filles, Laurianne et Elisa. Ils nous accueillent et nous allons poser nos affaires dans nos chambres.
Nous verrons Christophe plus tard car il est parti faire « un petit tour » de vélo. A son retour nous irons chercher notre matériel chez Twinner le magasin de sport.
Chaussures, crampons, baudrier, casque et piolet obligatoire pour tout le monde et quelques compléments pour d’autres comme un petit sac à dos, une veste, des sous-gants, des bâtons…
En discutant avec Christophe, nous apprenons, qu’il a parfois des vertiges. C’est peut-être un problème de vertèbres ou d’hypoglycémie, c’est pourquoi il veille à avoir toujours sur lui « une petite ration alimentaire »… les judokas sont des durs et Christophe et loin d’être le dernier.
Pendant que nous essayons nos chaussures, Sophie prépare les sorties pour les enfants.
La maison des guides est de l’autre côté de la rue, nous y retrouvons Pierrot et Max, qui nous emmèneront à la Bérangère, puis au Mont Blanc. Ils nous donnent le programme du lendemain et quelques conseils pour partir, puis nous montrent notre chemin sur une carte en relief. « …Voilà ! maintenant, allez boire un coup et R.V. demain ici à 9 : 15 ».
On se fait mentalement le chemin du lendemain : « monter à 1400 m, une nuit en refuge, ensuite monter 800m pour le sommet de la Bérangère…Le soleil est là mais la pluie aussi. Pierrot nous a promis qu’il ferait beau demain.
Pour notre premier dîner à la Tatanne, nous avons droit à une vraie tartiflette à laquelle nos sportifs et leur famille, font honneur.
Les savoyards ont la réputation d’être durs, mais il y a des cœurs partout dans les magasins, sur les portes et les volets des maisons. Chez Anne aussi, il y en a partout, et c’est une dame de cœur : elle s’enquit de nos besoins et adapte sa cuisine en fonction de chacun. On ne se sent plus clients, mais invités.
Pour les consommations, on se sert, puis on note sur un carnet, ce que nous avons pris ; On fera le compte à la fin. Notre maîtresse de maison n’est pas seulement accueillante et respectueuse, elle généreuse et confiante.
Jour 2 : dimanche 29 Juillet
Le petit déjeuner se passe dans la joie, les rires, la bonne humeur.
Et c’est parti ! Nous marchons, marchons, ça monte dur, la sueur coule. Pause à 400 m.
On repart et ça monte, ça monte. Il faut garder le rythme, penser à souffler et faire très attention où on met les pieds. Il est possible – quoique difficile – de lever la tête, mais en marchant et sans perdre les pieds. Comment profiter de ce paysage merveilleux que nous offre les Alpes ?
Nous avons marché deux heures pour arriver à 1970 m au refuge de tré la tête. Comme nous étions partis de 1200 m, nous avons effectivement parcouru un dénivelé de 730m. Par rapport à l’effort fourni, nous sommes fourbus et déçus. Mais il faut apprendre à compter avec la montagne : grimper 730 m dans les Alpes, n’a rien à voir avec la même distance en centre-ville.
Les spaghettis aux lardons servis dans ce refuge sont excellents, de quoi redonner des forces à l’équipe qui n’en laisse pas une miette. Ce qui fera dire à Pierrot : « Ces gaillards là, les pâtes, ils les font à la bétonnière ! ». Et c’est au hasard de ces petites phrases uniquement servies dans les refuges que nous faisons connaissance de nos guides, comme : « il ne faut jamais s’attacher, sauf en montagne ! » In vino veritas ! Son langage est proche de celui des ours. Il nous donne sérieusement la recette d’une tisane pour être en forme avec du thé vert, du citron et du miel, puis il ajoute : « C’est vraiment dégueulasse ! ». Pour sûr, ses infusions, sont à base de houblon ou de raisin. « Il vaut mieux boire le vin d’ici que l’eau delà ! »
Un des sujets de discussion est celui du refuge futuriste du Goûter : Pierrot n’aime pas les ingénieurs. Des erreurs ont retardé son ouverture, alors il est moqueur : «… les sciences infuses de Paris qui ne savent pas qu’il neige à 3800 m, ni que les glaciers bougent, qu’ils fondent et que l’eau coule de haut en bas. Même le dernier des gosses de l’école de St Gervais, il sait ça ! Ils ne connaissent rien à cet univers hostile et pour le traitement des eaux usées par des bactéries, il faudrait qu’elles ne soient pas congelées par le froid ! »
13 : 30, on repart, non sans avoir auparavant, refait les pansements anti ampoules et mis quelques straps.
Plus haut, il y a des marmottes, Arnaud va les prendre en photo. Elles le regardent, semblent poser. Un dixième de seconde avant le « clic », elles montrent leur derrière et détalent. Arnaud est furax : « Elles se moquent de nous, ce sont des connasses ! » Peu après, un magnifique bouquetin majestueux avec ses grandes cornes nous domine. Mais pour la photo, il fait le même numéro que les marmottes. Arnaud est dégoûté. Pierrot dit : « Quand on voit les cornes du bouquetin, on se dit qu’il n’y a pas de justice ! » Tout le monde l’écoute ; il ajoute : « quand on voit la taille de ses cornes par rapport à celles de ses couilles ! »
Pierrot ne raconte pas que des blagues. La montagne, il la connaît. Il nous montre des rochers creusés par les glaciers qui étaient ici il y a trente cinq ans, et qui sont très loin là haut maintenant. C’est le réchauffement climatique. Les glaciers reculent de dix mètres par an, c’est énorme. Pierrot dit : « Ils fondent tellement que bientôt, à la place des guides, il faudra des surveillants de bain ! »
La montagne est belle. Le paysage est lunaire. Il y a des pierres de toutes les couleurs et Pierrot nous apprend les différents minéraux qui font cette variété. La poussière noire, c’est le granit. Celles qui ressemblent à des diamants, du quartz rose. Un énorme rocher brun très foncé comme de la rouille porte une grosse blessure en son centre : « Cette couleur est celle du fer qu’elle contient. Et à cause de cela elle attire la foudre ; C’est la trace que vous voyez. Alors, quand il y a de l’orage, il vaut mieux ne pas traîner ici. » Puis il ajoute : « Il y en a quand même qui aiment la foudre…les bossus…parce que ça les fout droit ! » Si Pierrot parle en marchant, c’est de la montagne : la neige, la glace, les rochers…ce qui la rend difficile, imprévisible, dangereuse et qui rend les hommes à son image : forte. Alors, pour Pierrot, les fleurs n’ont pas d’intérêts.
Devant nous une bande de glace. Pierrot dit : « ça s’appelle une petite langue ». Je trouve cela joli, mais pour la montée, j’en tire une grande.
Bientôt, nous arrivons sur la glace. Enfin, il faut bien regarder, car c’est un mélange de cailloux et de glace, mais avec des crevasses et des trous qui font voir la belle glace bleue.
Nous entendons un bruit assourdissant : c’est celui des gros blocs de glace qui se détachent et qui tombent. C’est très impressionnant. Ça monte, c’est raide et glissant, mais que c’est beau !
Maintenant nous sommes sur un vrai glacier tout blanc et très dur, alors on met les crampons et les baudriers, les gants et un vêtement à manches longues car en cas de chute, la glace, est comme du béton. Nos guides nous montrent et nous aident à nous équiper. Pierrot dit : « Un baudrier, ce n’est pas comme un béret…y a un sens ! » puis « L’alpinisme ça se pratique debout ! » En effet, au fur et à mesure de l’ascension, les dos ont tendance à se courber. Personnellement, je pense qu’avec mon gros sac à dos, je ressemble à une tortue.
Maintenant, nous montons en lacet, doucement, presque perpendiculairement à la montagne ; le piolet toujours en amont, et c’est le pied de ce côté qui commence, puis l’autre le dépasse par l’aval avec une jolie courbe. C’est technique, un coup à prendre.
Au passage d’une petite crevasse Max, nous montre comment faire pour descendre d’un côté et remonter de l’autre. Cela paraît facile, et certains essaient. C’est un bon moment de rire, surtout pour les autres.
Sur le glacier il y a de jolis trous ovales remplis d’eau bleue transparente. On les appelle des marmites. Certains abritent un caillou ou une étoile de glace.
16 : 30 nous arrivons au refuge des Conscrits à 2606 m où nous prenons du repos et un bon repas avec de la soupe dans laquelle on met des morceaux de tome de Savoie, ce qui fait dire à Pierrot : « En montagne, il y a la tome de Savoie et aussi de l’héma tome ! » mais il nous explique aussi d’où vient le nom de Reblochon : « …les ouvriers n’étaient pas bien payer pour traire les vaches, alors ils n’allaient pas jusqu’au bout de leur travail et il fallait « reblocher », c'est-à-dire, utiliser les restes pour en faire quelque chose. Ce quelque chose est devenu le Reblochon. »
Max demande à Pascal si son idée du Mont Blanc est pour amener le Club au plus haut. C’est amusant. Pascal explique qu’il a fait le Mont Blanc quelques années au par avant. Il sait que c’est très dur, surtout pour des jeunes qui pourraient avoir envie d’abandonner en route. C’est pour cela que c’est un véritable défi sportif, en plus, c’est un symbole, et cela marque bien les 40 ans du Judo-Club de Nomeny.
Nous reparlons des animaux de la montagne. Notre guide nous apprend que le petit du bouquetin est un étagne alors que celui du chamois s’appelle un eterlou et si c’est une femelle, une eterlette.
Un coup d’œil sur la montagne depuis la terrasse : il y a comme un très grand mur : 50 m d’épaisseur de glace !
Christophe et Loïc ont les yeux qui se ferment et demain nous nous levons à 4 : 00 pour l’aiguille de la Bérangère.
Jour 3 : lundi 30 Juillet. La Bérangère.
4 : 01 les guides viennent frapper à notre porte. Nous avons un peu de mal à nous organiser rapidement et notre départ est un peu en vrac, ce qui fait râler Pierrot. Il fait nuit et nous marchons à la lampe frontale. Le paysage est bizarre, mais il ne fait pas très froid et c’est sympa, mais très vite, ça redevient très dur et c’est moins sympa. Pierrot précise que le Mont Blanc, c’est pire, mais il ajoute « le Mont Blanc, il ne faut pas s’en faire une montagne ! »
Nous sommes très haut quand le jour se lève. Au-dessus de la chaîne de montagnes, un halo rose sous un halo bleu. Ça vaut la peine d’avoir transpiré.
Nous nous sommes plusieurs fois demandés pourquoi partir si tôt. C’est vrai, personne ne part faire un sommet vers midi. Nous avons évoqué les conditions météo en fonction des heures et la prise en compte des secours qui doivent intervenir en plein jour… Mais maintenant je sais pourquoi, il faut partir quand il fait encore nuit : c’est parce qu’arriver en haut au lever du jour, c’est beau à pleurer ! Mais pas longtemps, car il faut redescendre. Epuisés par la montée, il ne faudrait pas prendre froid en plus. La descente est longue, souvent plus difficile encore que la montée. Arrivés sur un grand glacier, qu’il faut traverser, Catherine casse un crampon. Déséquilibrée elle laisse tomber un de ses bâtons qui s’enfile sous le glacier. Arnaud le repère et casse la glace à l’aide de son piolet ; il finit par le récupérer, mais Catherine ne pourra pas traverser le glacier à cloche-pied. Les deux cordées se séparent. : Pierrot emmène Catherine, Loïc, Gauthier et Christophe pour passer par les échelles –qui seront démontées bientôt car trop dangereuses- Notre cordée passera le glacier avec Max.
Nous nous retrouvons tous au pied du glacier. Nous regardons les impressionnantes échelles collées à la paroi verticale de 400m. Les garçons confient avoir eus vraiment très peur. Christophe a le vertige et ne monte même pas sur son toit. Quand à Gauthier, il l’a crié : « Je n’ai que vingt ans, je ne veux pas mourir maintenant ! ». Christophe nous dit : « J’ai eu la trouille de ma vie. Il fallait passer d’une échelle à l’autre et nous n’étions même pas attachés, et en plus Pierrot nous a charriés. »
Pour nous, la traversée du glacier dont la pente est raide nous a aussi mis à l’épreuve. Il faut être en appui sur les cuisses, comme des squats statiques et les pieds à dix heures dix, aussi, taper fort le pied pour enfoncer les crampons. Nous avons les muscles tétanisés et les ampoules alimentées, mais, une fois arrivés, ça va.
En repassant près du refuge des conscrits, nous assistons au ravitaillement du refuge par l’hélicoptère. Celui-ci largue son paquet et repart avec le linge sale à une vitesse incroyable. Le temps est précieux en montagne, car la météo peut vite changer. Les accidents arrivent encore.
Nous descendons vers Tré la tête. Le chemin est difficile : des descentes raides et aussi des remontées avec escalade de rochers… je suis à la traine. Arnaud reste avec moi pour ne pas me laisser seule. Un rocher est trop haut pour mes petites jambes, alors il me tend la main. De ce que nous vivons ensemble dans cette aventure, ce sont ces gestes là que je retiens. Il y en a eu tant des uns envers les autres pendant cette semaine, que je ne peux les citer tous, mais je pense qu’ils contribuent à faire les vrais athlètes chers au cœur de Pierre de Coubertin.
Nous voici de retour au refuge de Tré la tête pour un bon repas bien mérité. Nous avons encore droit à une blagounette de Pierrot : « L’eau du lac, il ne fut pas la boire, c’est du lac xatif ». Ce n’est qu’à table que Pierrot parle un peu de lui. Il a baroudé sur toutes les mers et tous les continents, mais ne connait de la France, que les aéroports et la Haute-Savoie. Il a été sapeur pompier montagnard, mais quand on lui a dit qu’il fallait faire du canyoning, il a démissionné en jetant tout l’attirail à la poubelle et en disant : « Je ne vais pas me déguiser en chambre à air ! ».
Il blague sur tout : « Avant t’écartais le maillot de bain des filles pour voir les cuisses, maintenant t’écarte les cuisses pour voir le maillot ! » et ses blagues sont les mêmes pour tous les clients, comme le show d’un clown. Derrière son masque, Pierrot n’est pas comique : il fait rire…Comme les clowns.
Mais ses blagues, on les aime, c’est Pierrot, un homme de la montagne comme on n’en fait plus : une pièce de musée.
« Je suis né chez ma tante, ma mère n’était même pas là. »
Ma grand-mère elle comprenait pas pourquoi grimper comme ça dans la montagne. Elle disait « ça sert à rien d’aller plus haut que les moutons ». Et le jour où j’ai passé mon test d’alpinisme, elle était là et elle m’a dit : « mais pourquoi tu fais tout ça, t’as pas vu qu’il y a un chemin pour aller là haut ? »
Les guides resteront là. Pour eux, la journée est finie. Ils nous indiquent le chemin pour retrouver nos voitures.
Nous ne sommes pas encore arrivés. Les sacs à dos deviennent de plus en plus lourds. Les épaules font mal, mais pas tant que les pieds. Antonio boîte car son genou le fait de plus en plus souffrir. La descente paraît interminable. « Comment avons-nous fait pour monter tout ça ??? » Aujourd’hui, nous avons fait dix heures de marche effective, et pas en centre-ville !
Retour chez Tatanne, notre camp de base. Après une bonne douche, nous nous retrouvons pour l’apéro, puis le repas, toujours excellent suivi du Genépi. Les enfants ont envahis la cuisine et font le service avec amour. Mise en place de la table, service des plats jusqu’au bout. Merci les enfants, quel bonheur d’être servi quand le corps ne veut plus se lever.
Notre grande tablée – seize personnes -est animée. Chacun raconte ses chutes, ses douleurs, ses peurs et le langage particulier de Pierrot, qui nous restera longtemps. Nous rions beaucoup et cela nous détend.
Jour 4 : mardi 31 juillet. Relax
Après une bonne nuit de repos, nous descendons plus ou moins péniblement les escaliers pour arriver au petit déjeuner. Le rire, tout de suite présent, présage une agréable journée. Loîc nous montre ses ampoules aux pieds. Il pourra éclairer le bal des guides à la fin de la semaine. Christophe est déjà parti faire une récupération active à vélo. Ce sont des athlètes judokas, habitués à endurer la douleur. Je me demande même si ils ne trouvent pas un certain plaisir à souffrir.
Ce matin Antonio va chez un ostéopathe car son genou l’inquiète et l’avis d’un professionnel sera le bienvenu pour savoir s’il est raisonnable et possible de faire le Mont Blanc avec cette douleur. Loïc demandera un avis au pharmacien pour ses plaies aux chevilles et les autres feront le plein de pansements, de bandes etc.
Pendant ce temps, Pascaline boit un verre à la terrasse ensoleillée du gîte en lisant une BD. Pas d’inquiétudes pour elle quant au Mont Blanc, son choix est fait : elle reste « au camp de base », la Bérangère lui a suffit. Elle dit raisonnablement : « Je ne suis pas assez bien préparée. J’ai eu trop mal hier et je me tiens aux murs pour descendre les escaliers. Mon corps ne veut pas remettre une couche là-dessus. Maintenant je sais comment je ferai la prochaine fois. Donc le test est bon pour moi ». Catherine se repose aussi avec un livre sur l’autre terrasse. Son Mari est parti en rando avec Marie et Thibault tandis que Juliette joue dans sa petite maison de jardin.
Christophe rentre en disant : « Je suis vraiment cinglé ! J’ai quitté la route principale pour éviter la circulation et je me suis retrouvé sur une montée de 4 km à 20 %. » Effectivement, pour une récupération, on peut rêver mieux. Quelques étirements minimiseront les dégâts.
Rendez-vous à la taverne de l’ours pour déjeuner. Les prix dans les villes touristiques sont souvent élevés et ils augmentent avec l’altitude. 4, 50euros pour une bière au refuge des conscrits ! Depuis, nous sommes attentifs aux prix. La bière devient la référence, surtout pour Christophe. Nous cherchons si il y a des vignobles en Haute-Savoie et reparlons de nos guides, ces êtres à part, qui savent bien boire et ne sucent pas la glace des glaciers.
L’après-midi, les parents avec les enfants choisissent la piscine en plein air et les autres, les thermes.
Sur le dépliant des thermes, il ya la photo de Max et voilà encore une occasion de plaisanter. Nous gardons le papier pour les faire « marcher un peu ».
Trois heures de détente absolues du corps et de l’esprit ! Et nous constatons qu’au-delà du défi sportif que représente « la grimpette », des personnes faisant partie du même club, mais dans des sections différentes – Judo et Jujitsu- et leur famille, qui ne se connaissaient presque pas, vivent une expérience très enrichissante. Les langues se délient et les liens se créent. Tantôt en petits groupes, en binômes ou tous ensemble. C’est fédérateur.
18 : 00 R.V. avec nos guides pour une dernière mise au point pour le Mont Blanc. C’est demain !
Les deux guides supplémentaires sont là. Ils sont jeunes et ont l’air sympa.
Le dépliant des thermes est donné à Pierrot qui s’exclame : « Le spa ! Chez nous, on en sert pour peler les cochons ! ».
Il nous annonce que demain il y aura du vent et ajoute « Au moins, on ne sera pas dérangé par les mouches ! »
Les magasins sont encore ouverts. Antonio va chercher des bâtons, car s’ils ne sont que conseillés, ils devraient être obligatoires, tellement ils sont utiles à la marche. Nos jeunes athlètes dévalisent la superette en saucisson et barres de céréales pour l’ascension de demain.
De retour chez Tatanne, il règne une ambiance fébrile : préparer les sacs à dos, sans rien oublier et sans mettre de superflu.
Jour 5 : mercredi 1er août. Le Mont Blanc
6 : 00 tout le monde se lève. Les sacs à dos sont revus est corrigés. Les grimpeurs n’ont pas dormis ou mal et on les sent stressés. David embrasse Catherine qui ne peut retenir ses larmes.
Pascal et Pascaline les accompagnent à la gare du tramway du Mont Blanc. Les guides sont là. On rit, on sourit, mais c’est l’ambiance des départs en colo avec le cœur gros.
Les voilà dans le tram, têtes par la fenêtre, on se fait « au revoir » jusqu’à ce que le tram qui grimpe, ne soit plus qu’un petit point.
Pendant qu’ils grimpent, la vie d’en bas :
David est parti avec ses enfants au Nid d’aigle. Dans cette famille de bons marcheurs, les vacances sont l’occasion de mettre les enfants sur ce bon chemin. Sophie est au parc d’attraction avec ses filles ; Elisa est encore petite pour une semaine de randonnée, mais la montagne est très présente dans le choix des sorties : l’ascension du Bettex/Mont d’Arbois –deux heures de marches avec un dénivelé de 500m – et la luge d’été au parc de Chamonix sont du sport ludique. Une visite au parc animalier approfondit la connaissance de la faune alpine et la journée « Accrobranche », permet aux enfants de réaliser leur propre défit sportif. De notre côté, nous partons pour une ballade vers Gruwaz, puis le chalet du Truc à 1750 m. Nous apprécions la marche légère sans gros sac, à notre rythme, avec la liberté de regarder les fleurs, la montagne et de faire des pauses. Aussi, nous pouvons discuter. Pascal est très heureux de ce stage et de la solidarité qui règne entre tous : « …Les apéros, les repas, sont l’occasion de confidences, de souvenirs, d’écoute et de partage. L’après-midi de détente aux thermes, en cassant le rythme a permis d’autres échanges verbaux sur les arts martiaux… » Si ce groupe de sportifs dénotait dans ce contexte un peu « coincé », il avait le mérite d’être vivant, nature et plein de joie de vivre.
Du chalet du Truc, nous allons vers le chalet de Miage et nous prenons le GR du tour du Mont Blanc en direction de Champel et Tranchet. A la pause pic nic, devant un paysage de toute beauté, nous avons une pensée pour nos amis montagnards. En fait, nous sommes un peu inquiets et aimerions avoir des nouvelles. Nous leur envoyons un petit sms de soutien.
Un petit passage chez Tatanne pour changer d’affaires et nous allons à la piscine de St Gervais. Le soleil est là et nous sommes dans cet espace aquatique en apesanteur devant le Mt Blanc. Nous imaginons nos amis tout la haut…et avons une pensée compatissante pour leurs épaules endolories et leurs pieds en souffrance qui continuent de grimper.
18 : 30 « ils doivent être au refuge en train de boire un coup. Prenons un verre à la terrasse de la piscine pour trinquer avec eux ! »
Pascal n’est pas tranquille en pensant aux pieds de Loïc, alors nous passons à la maison des guides pour avoir des nouvelles. Il n’y a plus personne, mais nous pouvons trouver « ces ours dans leur tanière » à quelques mètres, au café « la grange ». Le chef est là avec Chloé, la sympathique secrétaire. Ils nous rassurent : « Nous avons eu un coup de téléphone des guides. Tout va bien. L’équipe est au refuge du Goûter à 3800 m. La météo devrait se maintenir et à priori, c’est bon pour le sommet demain. »
De retour à notre camp de base, nous mangeons dehors avec des clients habitués à venir ici pour la montagne. David et Pascal regardent les cartes et préparent un itinéraire de marche pour demain avec Thibault. Marie et Juliette resteront pour nettoyer le logement, car c’est le dernier jour.
22 : 45, un gros orage éclate. Ensuite, plus rien. Le calme est revenu. Je pense « tant mieux, comme ça, l’orage a tout balayé et c’est bon pour qu’ils montent vers trois heures ».
2 : 00 Pascal regarde le Mont Blanc : « les nuages sont loin au-dessus, le ciel est assez dégagé ; je suis confiant pour eux. »
Jour 6 : jeudi 2 août. Mauvaise surprise
Nous sommes donc partis nous promener en passant par les lacs. Le paysage est magnifique. Nous prenons des photos…
12 : 30 le téléphone de David sonne : c’est Catherine : « Nous sommes dans le tramway ». A ce moment, nous savons qu’ils n’ont pas fait l’ascension, sinon ils ne seraient pas retour avant dix sept heures trente.
Nous accélérons le pas pour les accueillir à la gare. Ils nous y attendent attablés devant une bière et nous racontent : « L’orage a éclaté une heure avant de départ prévu. De la grêle et un vent de 50 km au refuge, qui passait à 70 km au dôme du Goûter…Des conditions impossibles pour monter. Deux guides sont sortis et sont vite rentrés en disant « c’est impossible, on est karchérisés ! La montée –un mur- jusqu’au refuge a été rapide, donc très pénible ». Catherine remercie Christophe : … « Heureusement que Christophe était là. Il y avait un rocher beaucoup trop haut pour moi et Christophe m’a servi de marchepied. J’ai mis mon pied sur son épaule pour passer ! »…Etant données les conditions météo, la descente n’a pas été meilleure ! » Mais comme dit Pierrot : « La météo, c’est comme le cul, on peut pas prévoir ».
Nous allons tous déjeuner à la crêperie pour recharger les batteries de nos sportifs éprouvés. Là, je capte quelques bribes de cette aventure : « …les toilettes du refuge : un trou et quatre planches et une odeur repoussante …». « …L’ambiance multi nationalité avec des cris et des chants bien arrosés … ». « …des grimpeurs qui squattent, qui dorment n’importe où, et qui te piquent ton lit, dès que tu te lève …». « …Les guides, dans leur carrière, ont vus beaucoup de personnes en détresse, la plupart imprudentes, et sans guides. La montagne ne pardonne pas. On ne peut pas faire n’importe quoi. Ils ont perdus plusieurs de leurs collègues, alors les touristes qui montent seuls, ils ne les aiment pas… »
Nos sportifs sont rassasiés. Nous allons rendre le matériel de location et passons au bureau des guides mettre un petit mot dans le livre d’or et retirer les diplômes attestant de cette belle aventure.
Notre dernier dîner à la cabane Tatanne, dans la tradition culinaire de la Savoie, est toujours aussi copieux. C’est l’heure du bilan : les jeunes ont aimé cette première en montagne et ont hâte de revenir. Gauthier à attrapé le virus de la montagne. Catherine demande à Pascal si, en tant qu’organisateur, il était inquiet. : « Oui, car ce n’est pas évident d’emmener des jeunes en haute montagne, sans savoir vraiment ce que l’on va y trouver, ni comment les gens vont réagir. De plus, nous constituons un groupe de plusieurs générations et nous ne nous connaissions pas vraiment. En fait, j’étais surtout inquiet quant aux réactions des jeunes et j’ai été très surpris. Ils ont été supers ! Concentrés, volontaires et courageux. Ces qualités dont on a besoin en montagne, on les retrouve au Judo. Dans un combat, c’est celui qui jusqu’au bout se dit : « Je peux y arriver ! qui gagne ».
Christophe dit : « Pour faire le Mont Blanc, il faut deux choses : 1- une bonne météo et 2 – Faire du Judo »
C’est notre dernière soirée, nos sportifs et quelques adultes vont dire au revoir à St Gervais.
Jour 7 : vendredi 3 août. On rentre
10 : 00 heure du départ. Nous avons du mal à quitter cet endroit, à se quitter. Dans la voiture une odeur de nostalgie. Pierrot revient dans la conversation. « …ce mec, c’est un monument. Un homme, un vrai de la montagne comme il n’en existe plus. C’est une mine de connaissances extraordinaires et variées. Il a accompagné des milliers de personnes dans la montagne dont Sting et Jupé, mais les titres et ce que font les gens, il s’en fiche. Il n’a pas la grosse tête. Avec lui, il faut marcher, marcher et vite en regardant où on met les pieds. La montagne ne fait pas de cadeaux, alors « assure tes pieds ». Sous son air bourru et sans pitié, sa présence est rassurante. Un vrai guide qui sait accompagner, être-là « tré l’autre » = à côté de l’autre.
Nous sommes partis pour un défi sportif : Le sommet du Mont Blanc. Le sommet sera pour une autre fois, mais on revient enrichi de tout ce que nous avons vécus et content d’avoir connu Pierrot.
A une station service, un magazine nous appelle, c’est celui des Alpes avec un CD des chants des montagnards. Nous l’écoutons dans la voiture. Ce n’est ni Mozart, ni la Star Ac, mais ses paroles sont celles des hommes de là-haut. On se sent comme un poisson d’aquarium qui entend le chant des baleines.
La montagne est vivante et le Mont Blanc en a peut-être assez d’être consommé par des touristes pas toujours respectueux. Ses glaciers se retirent et quand quelques intrépides forcent son sommet, il se met en colère.
Mais « Oh, Mont Blanc, nous t’avons approché et tu nous a collé ton virus.
Nous sommes à tes pieds et nous retenons les leçons de la montagne. Nous saurons nous faire tout petit, être à ton écoute, respectueux et patients comme le Petit Prince pour son renard…jusqu’au jour où nous te caresserons la tête ».
Pascaline Pichard